Histoire et résumé du texte
par Lori J. Walters
Le Roman de la Rose est le produit du travail de deux auteurs. Commencé par Guillaume de Lorris vers 1230, il est achevé par Jean de Meung environ quarante ans plus tard. Dans certains manuscrits, il compte jusqu’à 21 750 vers. C’est, vraisemblablement, l’œuvre en ancien français qui a eu le plus d’influence. Pendant les siècles qui ont suivi sa rédaction, de grands poètes tels que Guillaume de Machaut, Jean Froissart, Eustache Deschamps et Francois Villon ont perpétué la tradition du poème. Dans la France du début du XVe siècle, le Roman de la Rose faisait encore l’objet de vives polémiques littéraires. Son impact s’est fait sentir dans d’autres littératures nationales. Les poètes anglais John Gower et Geoffrey Chaucer, ainsi que les poètes italiens Dante et Pétrarque, ont été des lecteurs assidus du roman. Le Roman de la Rose est un poème d’amour allégorique, qui prend la forme d’une vision onirique. Le narrateur, âgé de 25 ans, rapporte un songe qu’il a eu environ cinq ans auparavant, et qui s’est réalisé ensuite. Dans son rêve, il voyage jusqu’à un jardin clos, à l’intérieur duquel il voit le reflet d’un rosier dans la Fontaine de Narcisse. Alors qu’il s’apprête à choisir sa fleur, le Dieu de l’Amour l’atteint de plusieurs flèches, le laissant à jamais épris de l’une des fleurs. Ses efforts pour cueillir cette rose restent vains. Un baiser volé alerte les gardiens de la Rose, qui est alors recluse derrière des fortifications encore plus résistantes. Lorsque s’achève le poème de Guillaume de Lorris, le protagoniste se lamente sur son sort, face à ce nouvel obstacle vers la réalisation de son amour. Jean de Meung conclut le récit avec une description grivoise de la cueillette de la Rose, teintée de déception, en discordance avec la conception idéalisée que se fait Guillaume de la quête de l’amour.
Les deux parties du Roman de la Rose ont des caractères bien distincts. Le poème de Guillaume s’apparente à un guide sur l’art d’aimer. Les représentations des vices “anti-courtois”, qui décorent les murs du jardin, offrent un contraste édifiant avec les personnifications de la vertu courtoise, qui dansent à l’intérieur de la clôture. Le Dieu de l’Amour enseigne au néophyte l’art de se comporter en bon amant. Sous la plume de Jean de Meung, l’histoire de Guillaume, jeune homme en quête de la Rose, est destinée à intégrer une large part des connaissances du XIIIe siècle. Ses personnifications (telles que Dame Raison, l’Amant, Nature et Génius) font de longs commentaires sur des sujets périphériques à l’action. L’auteur inclut notamment des discussions (alors d’actualité) sur le libre arbitre et le déterminisme, ou qui touchent à la vision et à l’influence des corps célestes sur les comportements humains. S’y trouvent aussi des références à des questions de l’époque, telles que le débat autour du pouvoir croissant des ordres mendiants.
Manuscrits de la Bibliothèque numérique du Roman de la Rose
par Beatrice Radden Keefe
Au moins trois-cent manuscrits du Roman de la Rose subsistent. Ils datent des XIIIe, XIVe, XVe et XVIe siècles. Pour la plupart, ces livres sont conservés dans des bibliothèques européennes, principalement en France, où la majorité des manuscrits a été conçue. Trente-six manuscrits du Roman de la Rose se trouvent actuellement aux Etats-Unis, notamment au Walters Art Museum, à Baltimore (Walters 143), au J. Paul Getty Museum, à Los Angeles (Ludwig XV7) et à la Morgan Library & Museum, à New York (Morgan 948—voir la Figure 2). Plusieurs manuscrits se trouvent également dans des collections privées. Deux d’entre eux font partie de la Bibliothèque numérique du Roman de la Rose (Cox Macro Rose and Ferrell Rose). Deux autres appartiennent à l’Université Senshu au Japon (Senshu 2—voir la Figure 5—et Senshu 3) et sont également disponibles sur ce site. L’un des plus anciens manuscrits de la Rose se trouve à la Bibliothèque nationale de France à Paris (BnF fr. 1573). Il a été copié vers la fin du XIIIe siècle, peu de temps après que Jean de Meung eut fini sa partie du poème. Deux des premières versions illustrées sont à Paris (BnF fr. 378—voir la Figure 1—et BnF fr. 1559). Toutes deux datent de la fin du XIIIe siècle. Le dernier manuscrit illustré du Roman de la Rose est celui de la bibliothèque Morgan (voir la Figure 2). Comptant 107 miniatures, cette œuvre tardive a été élaborée en 1520, après la parution des premières éditions imprimées du roman, au tournant du XVIe siècle (Rosenwald 396—voir la Figure 3— and Rosenwald 917—voir la Figure 4).
Nombre de manuscrits du Roman de la Rose sont enluminés, certains de grands cycles de miniatures, et luxueusement ornés d’or et de pigments colorés. D’autres, sans illustrations, sont des objets moins coûteux. Dans certains manuscrits, des espaces ont été réservés pour des illustrations qui n’ont jamais été réalisées, faute de temps ou d’argent. On connaît certaines informations sur les artistes qui ont illustré ces manuscrits. Les enlumineurs professionnels Richard de Montbaston et sa femme Jeanne (actif de 1325 à 1353), qui vivaient et travaillaient ensemble rue Neuve Notre-Dame à Paris, auraient ainsi illustré dix-neuf des manuscrits connus du Roman de la Rose, y compris celui du Walters (voir les Figures 7 et 8). Les miniatures d’un manuscrit actuellement à Oxford (Douce 195) sont attribuées à Robinet Testard (actif de 1475 à 1523), qui enlumina d’un certain nombre de manuscrits luxueux pour Charles d’Angoulême et sa femme Louise de Savoie, à Cognac (voir la Figure 9). Morgan 948 a été copié par un seul scribe, Girard Acarie, tandis que le manuscrit du Getty est attribué à un groupe d’artistes travaillant dans le style dit “Bedford Trend” dans la France du début du XVe siècle.
Les manuscrits les plus remarquables ont été conçus pour des commanditaires nobles et des membres de la cour du roi de France. Le manuscrit Douce 195, qui comprend 125 miniatures, appartenait à Louise de Savoie (1476-1531), comtesse d’Angoulême et régente de France (de 1515 à 1516). Le manuscrit de la Morgan fut offert à son fils François Ier, roi de France (de 1515 à 1547, voir la Figure 10). Les manuscrits moins coûteux et sans enluminures (voir la Figure 6) ont pu appartenir à des familles riches, à des clercs ou à des écrivains qui s’inpiraient du poème, tels que Guillaume de Machaut ou d’autres qui s’en offensaient, à l’image de Christine de Pisan et Jean Gerson.
Certains manuscrits du roman sont en excellent état, semblant n’avoir jamais été ni ouverts, ni lus. En revanche, d’autres exemplaires ont été fréquemment feuilletés et consultés : dans de nombreux manuscrits, des feuillets manquent, des illustrations sont abîmées ou supprimées et des notes sont inscrites dans les marges. Dans l’exemplaire du Walters, enluminé au XIVe siècle et actuellement disponible à Baltimore, les scènes d’un frère dominicain avec une femme (folio 69v—voir la Figure 11), et un chien vêtu d’un costume dominicain suivi de trois chiens plus petits (folio 72v—voir la Figure 12) ont été ajoutées dans deux marges. Cela nous renseigne sur les lectures et les interprétations qui ont pu être faites du poème, ainsi que sur la façon dont les manuscrits du Roman de la Rose ont été utilisés et adaptés pour différents usages, du Moyen-âge à nos jours.